Polyurie, polydipsie (approche clinique)
Approche clinique | |
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Caractéristiques | |
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Examens paracliniques | Osmolalité plasmatique, Osmolalité urinaire, Glycémie capillaire, Électrolytes (Na, K, Cl et Ca), Test de restriction hydrique avec ADH |
Drapeaux rouges |
Début rapide des symptômes ou durant les premières semaines de vie, Symptômes B, Trouble psychiatrique, Altération de l'état de conscience (signe clinique) |
Informations | |
Terme anglais | Polyuria, polydipsia |
Spécialités | Néphrologie, neurologie, endocrinologie |
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Polyurie et/ou polydipsie (110-2)
La polyurie est définie comme un débit urinaire quotidien élevé. Elle peut être objectivement mesurée chez l'adulte comme un débit urinaire de plus de 3 à 3,5L par jour. À distinguer de la pollakiurie (plusieurs mictions par jour), de l'urgenturie (envie urgente d'uriner) et de la nycturie (devoir se lever la nuit pour uriner). Chez les enfants, le débit urinaire diagnostic d'une polyurie est de plus de 2L/m2 par jour[1].
La polydipsie est une consommation excessive de fluide. Elle peut être due à une sensation excessive de soif ou à une prise compulsive de liquide[2].
1 Épidémiologie[modifier | w]
Les symptômes de polyurie et de polydipsie peuvent être secondaires à de nombreuses étiologies. La plus fréquente cause de ces symptômes est un diabète sucré débalancé. Les autres causes chroniques incluent la polydipsie primaire et le diabète insipide.
La prévalence du diabète sucré (DS) était de 8,5% chez les plus de 18 ans en 2014. Le DS type 2 (DS2) (90-95% des cas de diabète sucré) était historiquement seulement retrouvé chez les adultes, mais sa prévalence augmente dans la population pédiatrique avec la vague d'obésité[3]. L'étiologie exacte du DS de type 1 (DS1) n'est pas encore connue, mais les facteurs de risque sont une histoire familiale de DS1, et bien qu'il puisse se développer à tout âge, les jeunes enfants sont davantage touchés par cette maladie. Les facteurs de risque du DS2 sont un diagnostic de pré-diabète, un surplus de poids, un âge > 45 ans, une histoire familiale de DS2, un sédentarisme, un antécédent personnel de diabète gestationnel et certaines nationalités (Afro-Américaine, Latino-Américaine et Asio-Américaine)[4].
La polydipsie primaire comprend deux sous-types: psychogène et dipsogène. Les patients à risque de souffrir de polydipsie psychogène sont ceux atteints d'un trouble psychiatrique (dépression, trouble bipolaire, schizophrénie). Même que 18% des patients admis en psychiatrie souffrent de polydipsie. Dans le cas de la polydipsie dipsogène, soit une consommation excessive d'eau sans trouble psychiatrique, son incidence augmente avec la popularité grandissante des programmes de remise en forme qui vendent les mérites d'une consommation abusive d'eau. Ce type de polydipsie touche davantage les femmes. La potomanie sur une consommation excessive d'alcool peut aussi expliquer une polyurie avec une hyponatrémie sur une grande consommation de liquide[5].
Le diabète insipide (DI) est une maladie rare, avec une prévalence de 1/25 000. Elle peut se présenter à tout âge, et la prévalence est la même entre hommes et femmes. Le diabète insipide central (DIC) est plus fréquent que le diabète insipide néphrogénique (DIN). Les formes héritées dominantes ou récessives comprennent une minorité des cas, soit seulement 10%[6][7].
2 Étiologies[modifier | w]
Il est possible de classifier les causes de polyurie en fonction du type de diurèse, soit une diurèse hydrique ou osmotique[8]:
L'étiologie principale de la polyurie chronique chez les enfants et les adultes est une diurèse osmotique induite par une hyperglycémie sur un diabète sucré mal-contrôlé. Les autres causes principales de polyurie chronique sont toutes de type diurèse hydrique:
Diurèse osmotique | glucosurie en cas de diabète sucré non contrôlé, diabète gestationnel
ou utilisation des inhibiteurs du SGLT2 (SGLT2i). |
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Perfusions salines iso- ou hypertoniques | |
diurèse post-obstructive[9] | |
mannitol en cas de traitement d'une hypertension intra-crânienne | |
Diurèse hydrique | diabète insipide central (partiel ou complet)
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diabète insipide néphrogénique
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diabète insipide adipsique | |
diabète insipide gestationnel (par augmentation du métabolisme de l'ADH)[10][11] | |
polydipsie primaire avec sous-types[5]:
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prise de diurétiques | |
administration excessive de liquides IV hypotoniques |
Parmi les étiologies citées ci-haut, celles qui causent une polyurie aiguë sont:
- Résolution d'une natrémie et/ou d'une urémie à la suite d'une obstruction urinaire
- Diurèse osmotique sur du mannitol dans le cadre du traitement d'une hypertension intracrânienne
- Diurèse hydrique en cas d'administration excessive de soluté intra-veineux
- Diurèse hydrique sur diurétique (traitement de novo d'une surcharge volémique ou utilisation non-indiquée dans le cadre d'une perte de poids)
3 Physiopathologie[modifier | w]
Une polyurie peut être secondaire à une diurèse osmotique ou hydrique[8]:
- Une diurèse osmotique survient lorsqu'une grande quantité de soluté dans les tubules rénaux amène une diurèse osmotique passive, ce qui amène une augmentation du volume urinaire, donc une polyurie. Par exemple, en cas de DS mal-contrôlé, la grande quantité de glucose urinaire dépasse la capacité de réabsorption tubulaire, ce qui créé une diurèse osmotique passive, puis une polyurie.
- Une diurèse hydrique est une élimination de grands volumes urinaires dilués. Plusieurs étiologies peuvent être en cause.
- Par exemple, en présence d'une polydipsie primaire ou psychogène, boire une grande quantité d'eau augmente notamment le volume intravasculaire (volémie), donc augmentation de la perfusion rénale, et augmentation de la filtration glomérulaire, puis augmentation du volume urinaire (polyurie). Parallèlement, un grand volume d'eau libre diminue l'osmolalité plasmatique, ce qui amène une diminution de la sécrétion de l'hormone antidiurétique (ADH). Puisque l'ADH favorise la réabsorption d'eau dans le tubule rénal collecteur, une diminution de cette hormone amène une augmentation du volume urinaire.
- Donc, en l'absence d'ADH (DIC) ou en présence d'une résistance à cette hormone (DIN), il n'y aura pas de réabsorption d'eau au niveau des tubules rénaux collecteurs, donc un grand volume urinaire (polyurie).
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la polydipsie[5]:
- Dans le cas de la polydipsie psychogène, la prise de médicaments avec une action anti-cholinergique peut augmenter la sensation de la soif. Aussi, des anomalies dans les systèmes dopaminergique et cholinergique vont déréguler le sens de la soif et la région de l'hippocampe, et mener à une consommation constante de liquide.
- Quant à la polydipsie primaire, tout facteur augmentant la sécrétion d'ADH va augmenter la soif: plus grande osmolalité plasmatique, nausée, vomissement, hypotension artérielle, sepsis, exercice, etc. Les osmorécepteurs du centre de la soif peuvent aussi être altérés, donc augmenter la sensation de soif, par de nombreuses conditions: infiltrative, vasculaire, cancéreuse, héritée, traumatique, etc. Aussi, la simple motivation de boire de l'eau, dans un contexte de mise en forme par exemple, peut mener à une consommation compulsive de liquide.
4 Approche clinique[modifier | w]
L'anamnèse suggère souvent la cause, mais des examens complémentaires sont habituellement nécessaires. Une bonne histoire permet de distinguer une polyurie d'une pollakiurie, une collecte urinaire sur 24 heures est rarement effectuée : [12]
4.1 Questionnaire[modifier | w]
4.1.1 Histoire de la maladie actuelle[modifier | w]
- Quantité de liquide bue quotidiennement
- Quantité urinée quotidiennement
- Âge du début des symptômes
- Début abrupte ou graduel des symptômes
- Tout agent précipitant récent (soluté IV, tube nasograstrique, levée d'une obstruction urinaire, AVC, trauma crânien, chirurgie)
4.1.2 Revue des systèmes[modifier | w]
- symptômes B (perte de poids, anorexie, diaphorèse nocturne, fièvre)
4.1.3 Antécédents[modifier | w]
- DS
- Antécédent de trouble psychiatrique (trouble bipolaire, schizophrénie, trouble alimentaire)
- Maladie infiltrative (sarcoïdose et amyloïdose)
- Hyperparathyroïdie
- Antécédent familial de polyurie
4.1.4 Médicaments et habitudes de vie[modifier | w]
- Lithium, cidofovir ou forscarnet (associés au DIN)
- Diurétique
- Alcool
- Boisson caféinées
- Diète riche en protéine
4.2 Examen clinique[modifier | w]
- apparence générale: obésité, malnutrition ou cachexie, œdème
- examen neurologique (si soupçon d'un processus intracérébral pouvant causer un DIC): déficits neurologiques focaux et statut mental
- examen dermatologique (si soupçon d'une sarcoïdose pouvant causer un DIN): ulcères, nodules sous-cutanés, lésions hyper ou hypo-pigmentées
5 Drapeaux rouges[modifier | w]
Les différents drapeaux rouges à considérer devant une polyurie ou une polydipsie[8]:
- début rapide des symptômes ou durant les premières semaines de vie
- symptômes B (diaphorèse nocturne, toux et perte de poids (surtout en contexte d'un tabagisme chronique))
- trouble psychiatrique
- Altération de l'état de conscience
6 Investigation[modifier | w]
Devant une polyurie/polydipsie, une investigation est souvent nécessaire.
Étapes de l'investigation[8]:
- Glycémie capillaire
- Tests de laboratoire: électrolytes (Na, K, Cl et Ca), osmolalité urinaire et osmolalité plasmatique
- Test de restriction hydrique avec ADH : ce test nécessite l'hospitalisation du patient, car une déshydratation sérieuse peut s'en suivre, le patient doit donc être sous supervision serrée. Une autre raison vient du fait qu'en cas de polydipsie psychogène, il faut surveiller le patient pour éviter une prise liquidienne malgré l'interdiction en place. Étapes du test:
- Pesée matinale du patient et tests de laboratoire de base (Na, K et Cl plasmatiques et osmolalités plasmatique et urinaire)
- Collections des urines à chaque heure avec mesure de son osmolalité
- La déshydratation se poursuit jusqu'à
- Obtention d'une hypotension orthostatique et d'une tachycardie posturale OU
- >= 5% de perte du poids corporel OU
- Concentration urinaire n'augmente pas de > 30 mOsm/kg dans deux collectes urinaires subséquentes
- Les tests de laboratoire sont alors mesurés à nouveau et 5 unités de vasopressine aqueuse sont données par voie sc.
- Une dernière collecte urinaire se fait 60 minute post-injection de vasopressine. Vous référer au tableau[8] pour un résumé des trouvailles suggestives clés à l'histoire et l'examen physique pour une étiologie précise et son approche diagnostic.
Investigation | Interprétation |
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Glycémie capillaire | Normale:
Un résultat normal permet d'exclure un DS débalancé, alors qu'un résultat aléatoire supérieur à 11,1 mmol/L avec des symptômes typiques (polyurie, polydipsie, etc.) permet de diagnostiquer un DS[13]. |
Si le diagnostic demeure incertain, pousser l'investigation | |
Sodium plasmatique | Hyponatrémie (< 135 mEq/L): suggère une prise accrue d'eau libre (polydipsie)
Hypernatrémie (> 145 mEq/L): suggère une perte accrue d'eau libre (DI) |
Osmolalité urinaire | < 300 mOsm/kg suggère une diurèse hydrique
> 300 mOsm/kg suggère une diurèse osmotique |
Potassium | Une hypokaliémie (< 3,5 mEq/L) suggère une prise de diurétiques |
Calcium | Une hypercalcémie suggère un hyperparathyroïdisme |
SI le diagnostic demeure incertain, pousser l'investigation | |
Test de restriction hydrique avec ADH* | Résultat normal:
DI central:
DI périphérique:
Polydipsie psychogène:
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7 Diagnostic différentiel[modifier | w]
Approche clinique et diagnostique selon chaque étiologie suspectée [8]
Type de diurèse | Rechercher | Examens paracliniques diagnostics | |
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Diurèse osmotique | Diabète sucré non contrôlé |
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Mesure de la glycémie au doigt |
Perfusions salines iso- ou hypertoniques |
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Arrêter ou ralentir le débit du soluté (pour s'assurer de la résorption de la polyurie) | |
Après obstruction des voies urinaires |
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Bilan clinique | |
Diurèse hydrique | Diabète insipide central (partiel ou complet)
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Test de restriction hydrique avec ADH |
Diabète insipide néphrogénique |
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Test de restriction hydrique avec ADH | |
Diabète insipide adipsique |
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Parfois hyperosmolarité et hypernatrémie sans soif excessive | |
Diabète insipide gestationnel (par augmentation du métabolisme de l'ADH) |
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Sodium plasmatique anormal (diminue normalement de 5 mmol/L en fin de grossesse) avec une osmolalité urinaire inférieure à l'osmolalité plasmatique.
Résolution des symptômes 2-3 sem post-partum | |
Polydipsie[5]
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Test de restriction hydrique avec ADH | |
Prise de diurétiques |
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Bilan clinique | |
Administration excessive de liquides IV hypotoniques |
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Arrêter ou ralentir le débit du soluté (pour s'assurer de la résorption de la polyurie) |
8 Prise en charge[modifier | w]
Le traitement dépend de la cause sous-jacente. Exemples: [8]
- Diabète sucré : contrôle de la glycémie
- Si alimentation par sonde parentérale : le passage à l'alimentation par sonde gastrique avec une diminution de la teneur en protéines et suivre l'évolution
- Administration excessive de liquides IV hypotoniques : arrêter ou diminuer le taux de liquide IV administré
Une nycturie troublante peut être traitée par des mesures telles que: [8]
- La réduction de l'apport liquidien avant le coucher
- L'utilisation de la desmopressine, mais attention à l'hyponatrémie sévère si polydipsie primaire. [15]
- L'amélioration de l'hygiène du sommeil.
9 Complications[modifier | w]
Les complications principales de la polydipsie / polyurie sont[8]:
10 Références[modifier | w]
- ↑ (en) Kirstie Lithgow et Bernard Corenblum, « Polyuria: A Pathophysiologic Approach », Canadian Journal of General Internal Medicine, vol. 12, no 2, (ISSN 2369-1778, DOI 10.22374/cjgim.v12i2.247, lire en ligne)
- ↑ Rajesh Kotagiri et Gurusaravanan Kutti Sridharan, StatPearls, StatPearls Publishing, (PMID 32965922, lire en ligne)
- ↑ (en) « Diabetes », sur www.who.int (consulté le 3 janvier 2021)
- ↑ (en-US) CDC, « Diabetes Risk Factors », sur Centers for Disease Control and Prevention, (consulté le 3 janvier 2021)
- ↑ 5,0 5,1 5,2 et 5,3 Rajesh Kotagiri et Gurusaravanan Kutti Sridharan, StatPearls, StatPearls Publishing, (PMID 32965922, lire en ligne)
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- ↑ « Orphanet: Search a disease », sur www.orpha.net (consulté le 30 décembre 2020)
- ↑ 8,0 8,1 8,2 8,3 8,4 8,5 8,6 8,7 8,8 et 8,9 « Polyurie - Troubles génito-urinaires », sur Édition professionnelle du Manuel MSD (consulté le 28 décembre 2020)
- ↑ Stephen W. Leslie, Hussain Sajjad et Sandeep Sharma, StatPearls, StatPearls Publishing, (PMID 29083564, lire en ligne)
- ↑ (en) Sonia Ananthakrishnan, « Gestational diabetes insipidus: Diagnosis and management », Best Practice & Research Clinical Endocrinology & Metabolism, vol. 34, no 5, , p. 101384 (DOI 10.1016/j.beem.2020.101384, lire en ligne)
- ↑ Pedro Marques, Kavinga Gunawardana et Ashley Grossman, « Transient diabetes insipidus in pregnancy », Endocrinology, Diabetes & Metabolism Case Reports, vol. 2015, (ISSN 2052-0573, DOI 10.1530/EDM-15-0078, lire en ligne)
- ↑ (en) Robert S. Porter, The Merck Manual of Patient Symptoms, , 652 p. (ISBN 0911910115), Polyuria pp. 432 - 437
- ↑ Parita Patel et Allison Macerollo, « Diabetes Mellitus: Diagnosis and Screening », American Family Physician, vol. 81, no 7, , p. 863–870 (ISSN 0002-838X et 1532-0650, lire en ligne)
- ↑ (en) Nikolay Aleksandrov, François Audibert, Marie-Josée Bedard et Michèle Mahone, « Gestational Diabetes Insipidus: A Review of an Underdiagnosed Condition », Journal of Obstetrics and Gynaecology Canada, vol. 32, no 3, , p. 225–231 (ISSN 1701-2163, DOI 10.1016/S1701-2163(16)34448-6, lire en ligne)
- ↑ Sriram Gubbi, Fady Hannah-Shmouni, Christian A. Koch et Joseph G. Verbalis, Endotext, MDText.com, Inc., (PMID 30779536, lire en ligne)