Diarrhée chronique (approche clinique)
La diarrhée chronique est généralement définie comme étant une diarrhée (3 selles liquides ou plus en 24h) persistant pour plus de 4 semaines[1].
Diarrhée chronique (22-2)
1 Épidémiologie[modifier | w]
La prévalence de la diarrhée chronique est d'environ 5% et est à peu près égale chez les deux sexes. La diarrhée chronique est moins courante chez les personnes de plus de 60 ans.
En Amérique du Nord, les causes les plus courantes de diarrhées chroniques sont le syndrome du côlon irritable, l'intolérance au lactose, les maladies inflammatoires de l'intestin et la maladie coeliaque[2][3].
2 Étiologies[modifier | w]
Catégorie | Étiologies |
---|---|
Inflammatoire |
|
Aqueuse |
|
| |
Stéatorrhée | |
Autres |
3 Physiopathologie[modifier | w]
Tout processus qui augmente la quantité d'eau dans les selles peut produire de la diarrhée.
La physiopathologie des diarrhées chronique varie en fonction de la cause sous-jacente.
Catégorie | Mécanismes |
---|---|
Inflammatoire |
|
Osmotique |
|
Sécrétoire |
|
Stéatorrhée |
|
Fonctionnelle |
|
4 Évaluation clinique[modifier | w]
4.1 Facteurs de risque[modifier | w]
Les facteurs de risque à rechercher des diarrhées chroniques sont[5] :
- les antécédents familiaux de maladies auto-immunes
- les antécédents personnels de maladies auto-immunes (ex. dysthyroïdies, diabète de type 1, maladie d'Addison, maladie cœliaque, pancréatite chronique auto-immune, colite ulcéreuse, maladie de Crohn, etc.) ou de cancer colorectal
- la pancréatite chronique ou pancréatite nécrosante sévère (insuffisance pancréatique)
- l'immunosuppression (augmente la probabilité d'infections opportunistes telles que cryptosporidiosis, CMV, HSV, and Mycobacterium avium)
- le diabète de type 2
- des antécédents de chirurgie bariatrique et de résection du grêle (SIBO, intestin court)
- la cholécystectomie (diarrhées aux sels biliaires)
- la prise d'IPP (colite microscopique, C. diff.)
- les médicaments nouvellement introduits (sous ordonnance ou en vente libre)
- la prise de suppléments vitaminiques (magnésium, vitamine C) et des produits de santé naturels
- la prise d'antibiotique récente (Clostridium difficile)
- la consommation d'alcool ou de drogue
- des voyages récents (parasites)
- des contacts avec des animaux
- une hospitalisation récente (C. diff.)
- un contact infectieux
- une histoire de MCAS/MVAS (colite ischémique)
- la radiothérapie antérieure (colite radique).
4.2 Questionnaire[modifier | w]
Le terme « diarrhée » est couramment utilisé par les patients pour décrire l'incontinence fécale, l'urgence fécale ou encore des selles molles ou liquides, quelle que soit la fréquence. La première étape de l'anamnèse consiste donc à vérifier que les symptômes rapportés correspondent bien à la définition de la diarrhée chronique (≥ 3 selles par jour pendant 4 semaines ou plus).[5]
Éléments de l'HMA | Caractéristiques | Explications |
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Caractérisation des diarrhées | Fréquence et durée |
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Aspect |
| |
| ||
| ||
| ||
Déclencheurs et modificateurs |
| |
Aliments |
|
Les autres symptômes à questionner sont :
- l'incontinence fécale (elle peut être confondue ou coexister avec les diarrhées chroniques)
- la fièvre (étiologies inflammatoires ou infectieuses)
- la perte de poids, la perte d'appétit, la sueur nocturne et la fatigue (symptôme d'alarme évoquant une étiologie organique ; augmente la probabilité qu'il s'agisse d'une étiologie systémique, néoplasique ou inflammatoire)
- la douleur abdominale (si la douleur abdominale dure plus longtemps que les quelques minutes avant et suivant la selle, il faut penser à une étiologie inflammatoire ; si les douleurs abdominales sont strictement post-prandiales, il faut considérer une ischémie mésentérique chronique)
- les ballonnements et les flatulences (peu spécifiques, mais souvent proéminents en cas de malabsorption)
- les nausées et vomissements (augmentent le risque de déshydratation et déficits nutritionnels)
- les ulcères buccaux ou des lésions cutanées (MII, maladie cœliaque, vasculites)
- les arthralgies (MII, yersiniose, maladie de Whipple, vasculite. Attention de différencier arthralgie et douleur osseuse)
- la masse abdominale (suggestif d'un processus néoplasique)
- la douleur anale (penser à MII)
- le ténesme (suggère un processus colique/rectal d'origine inflammatoire ou fonctionnelle)
- le flushing (syndrome carcinoïde)
- la dyspnée (Amyloïdose, tumeur neuroendocrine, tuberculose, lymphome).
4.3 Examen physique[modifier | w]
L'examen physique chez un patient se présentant avec diarrhée chronique est souvent normal ou non-spécifique.
Les éléments à évaluer sont[4][5][9]:
- les signes vitaux (signes d'hypovolémie ou de sepsis)
- la tachycardie
- l'hypotension artérielle
- la fièvre (étiologies inflammatoires ou infectieuses)
- l'examen des aires ganglionnaires à la recherche d'adénopathies (néoplasie, infection systémique)
- l'examen cardiaque et pulmonaire
- l'examen de l'abdomen
- des cicatrices abdominales témoignant de chirurgies passées
- un empâtement à la fosse iliaque droite (iléite de la maladie de Crohn)
- une masse abdominale (néoplasie)
- une douleur abdominale à la palpation ou de la défense abdominale
- un ballonnement, du tympanisme et de la distension abdominale
- l'examen cutané
- l'érythème noueux ou pyoderma gangrenosum (MII)
- la dermatite herpétiforme (maladie coeliaque)
- l'hyperpigmentation (maladie d'Addison)
- le flushing (syndrome carcinoïde)
- les manifestations extra-intestinales des MII[note 5]
- la rougeur oculaire (épisclérite, uvéite)
- des apthes buccaux
- des synovites (arthrite associée aux MII)
- le toucher rectal
- une fissure anale et des fistules périanales (maladie de crohn périanale)
- une masse rectale
- des hémoroïdes et un fécalome (diarrhée paradoxale)
- des rectorragies au TR.
5 Examens paracliniques[modifier | w]
5.1 Prélèvements sanguins[modifier | w]
Les tests de laboratoire suivants peuvent être effectués chez les patients présentant des diarrhées chroniques[5]:
- la FSC avec une attention particulière à l'anémie et à la leucocytose
- la CRP et la VS (si anormal, penser à une cause inflammatoire)
- la créatinine et les électrolytes sériques pour évaluer le niveau de déshydratation/atteinte rénale
- un gaz veineux si les diarrhées sont abondantes (pertes de bicarbonates dans les diarrhées)
- l'albumine sérique et les protéines totales pour évaluer le niveau de dénutrition
- la TSH
- les anti-transglutaminases et IgA totaux chez tous les patients.
Si l'ensemble des tests précédents sont normaux, que le patient rencontre les critères du syndrome de l'intestin irritable et qu'il n'y a pas de drapeaux rouges, certains experts suggèrent de tenter un traitement empirique pour le syndrome de l'intestin irritable et de cesser les investigations.[15]
5.2 Prélèvements fécaux[modifier | w]
Si le patient présente des symptômes alarmants, une consultation pour une endoscopie sera nécessaire d'emblée. Si les patients ne présentent pas de symptômes alarmants, les analyse des selles peuvent être utlisées. Les prélèvements fécaux ont pour but de déterminer l'étiologie de la diarrhée pour mieux orienter le traitement.
Type de prélèvement fécal | Explications |
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Recherche de sang occulte dans les selles |
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Calprotectine fécale |
|
Électrolytes fécaux |
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Élastase et chymotrypsine fécale |
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Matières grasses fécales |
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Recherche des toxines de Clostridium difficile |
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Culture fécale |
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Recherche de parasite dans les selles |
5.3 Autres investigations[modifier | w]
Une consultation en gastro-entérologie avec ou sans endoscopie est souvent nécessaire en cas de diarrhée sévère afin d'approfondir la recherche de la cause de la diarrhée[15]. La présence de drapeaux rouges, de même qu'une forte suspicion pour un cancer colorectal, une MII, une colite microscopique ou une maladie cœliaque justifient des investigations plus poussées :
- une coloscopie longue
- une oesophagogastroduodénoscopie (OGD)
- une TDM abdominopelvienne C+
- l'IRM abdominale.
6 Drapeaux rouges[modifier | w]
Les drapeaux rouges suivants soulèvent la possibilité d'une néoplasie sous-jacente ou d'une cause inflammatoire, nécessitant une investigation endoscopique [5]:
- l'apparition des symptômes après l'âge de 50 ans
- les rectorragies/méléna
- la douleur abdominale progressive
- les diarrhées ou des douleurs abdominales nocturnes
- une perte de poids inexpliquée, de la fièvre, de la fatigue, une perte d'appétit ou des sueurs nocturnes
- le fait d'avoir un parent au premier degré atteint d'une maladie inflammatoire de l'intestin ou d'un cancer colorectal
- des anomalies biologiques telles qu'une anémie ferriprive, une CRP/VS augmentée, une calprotectine fécale élevée ou un recherche de sang occulte dans les selles anormale.
7 Approche clinique[modifier | w]
Voici quelques éléments qui peuvent guider l'approche au diagnostic dans la diarrhée chronique[15].
- Le patient présente-t-il des drapeaux rouges ? Le patient présente-t-il des diarrhées inflammatoires (rectorragie, fièvre, douleur abdominale) ?
- Si oui, des investigations supplémentaires sont nécessaires.
- Le patient prend-t-il des médicaments en vente libre ou sous prescription qui sont classiquement liées aux diarrhées (ex. colchicine, magnésium, laxatifs, etc.) ?
- Si oui, on peut tenter de cesser ou de suspendre les médicaments pour voir si la diarrhée se résorbe (seulement si c'est sécuritaire de le faire ainsi et que le patient ne présente pas de drapeau rouge). En guise d'exemple, si le patient prend des laxatifs, il peut être tout à fait adéquat de suspendre les laxatifs et réévaluer dans un deuxième temps.
- Le patient a-t-il déjà subi une chirurgie ou de la radiothérapie qui pourrait provoquer des diarrhées chroniques ?
- Si un patient vient tout juste de subir une cholécystectomie et qu'il présente des diarrhées sans drapeau rouge, il peut être tout à fait raisonnable de tenter de la cholestyramine sans autre test.
- Il est adéquat de prescrire chez la majorité des patients des prises de sang lors de la première consultation (FSC, CRP, VS, ions, créatininémie, gaz veineux, albuminémie, TSH, anti-transglutaminases et IgA totaux).
- Plus l'intervalle entre le début des symptômes et la présentation est longue, moins le risque d'une étiologie infectieuse est probable. Cependant, il peut être adéquat de procéder aux investigations en lien avec la diarrhée aiguë chez plusieurs patients, surtout si le début des symptômes est relativement récent.
- Si le patient répond aux critères du syndrome de l'intestin irritable sans aucun drapeau rouge et que les prises de sang sont normales, on peut tenter un traitement empirique. Si le traitement empirique ne fonctionne pas, on doit continuer les investigations.
- Les analyses fécales (électrolytes, élastase, leucocytes, etc.) sont utiles lorsque la diarrhée est indifférenciée.
8 Traitement[modifier | w]
Si on trouve l'étiologie de la diarrhée chronique lors de l'investigation, le traitement est celui du diagnostic sous-jacent.
Les patients présentant des complications graves de leur diarrhée (ex. déshydratation, désordres électrolytiques, dénutrition sévère) devraient être hospitalisés.
S'il n'y a pas de diagnostic spécifique ou si le diagnostic n'a pas de traitement spécifique, un traitement empirique/symptomatique peut être justifié. Les traitements communément utilisés à cette fin sont présentés dans le tableau ci-bas.
Médicaments | Mécanismes | Particularités |
---|---|---|
Lopéramide |
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Cholestyramine |
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Clonidine |
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Psyllium |
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Dicyclomine, hyoscyamine, oxybutinine |
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Les antidépresseurs tricycliques, le salicylate de bismuth et le carbonate de calcium sont d'autres médicaments pouvant aussi être utilisés pour traiter la diarrhée chronique[15].
9 Complications[modifier | w]
Les complications de la diarrhée chronique varient en fonction de la cause[15]:
- la malabsorption[note 6]
- l'anémie[note 7]
- la déshydratation
- la dénutrition
- les troubles électrolytiques (hyponatrémie, hypernatrémie, hypokaliémie).
10 Notes[modifier | w]
- ↑ En présence d'occlusion intestinale ou de fécalome.
- ↑ Elle survient chez environ 12 % des patients après une CCK.
- ↑ La majorité des médicaments sur la marché peut entrainer des diarrhées. Le mécanisme peut être osmotique, sécrétoire ou causer de la malabsorption en fonction de ceux impliqués.
- ↑ Parfois appelé SIBO (Small Intestinal Bacterial Overgrowth)
- ↑ Les manifestations extra-intestinales des MII précèdent les symptômes digestifs chez environ 24 % des patients.
- ↑ Une complication commune chez les patients souffrant de diarrhée chronique, car si le temps de transit est faible dans les intestins, la quantité appropriée de nutriments et de liquides ne peut pas être absorbée.
- ↑ Secondaire à la malabsorption ou à un saignement digestif occulte
11 Références[modifier | w]
- Cette page a été modifiée ou créée le 2020/09/02 à partir de Chronic Diarrhea (StatPearls / Chronic Diarrhea (2020/08/10)), écrite par les contributeurs de StatPearls et partagée sous la licence CC-BY 4.0 international (jusqu'au 2022-12-08). Le contenu original est disponible à https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31335057 (livre).
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