ULaval:MED-1222/Neutropénie et déficits immunitaires
Neutropénie
La neutropénie se définit comme une diminution absolue sous les limites de la normale du nombre de neutrophiles circulant. Chez l'adulte, on parle de neutropénie quand les neutrophiles descendent sous 2,0, chez les enfants de 1 à 6 ans, sous 1,5.
Physiologie de la granulopoïèse
La granulopoïèse possède quelques particularités dans l'hématopoïèse, notamment la présence d'immense réserve médullaire et un taux de renouvellement 300 fois plus rapide que le renouvellement des globules rouges à cause de la durée de vie très courte. De plus, les neutrophiles sont répartis dans le sang dans deux compartiments : la partie circulante et la partie marginalisée (inactive). Enfin, il existe un compartiment cellulaire.
Compartiment médullaire
Prolifération
Quand la stimulation est adéquate, les précurseurs myéloïdes se divisent pour donner de 16 à 32 cellules
Maturation
Permet à la cellule d'acquérir ses granulations spécifiques et son pouvoir de phagocytose
Séquence : myéloblastes → promyélocytes → myélocytes → métamyélocytes → stab → polynucléaires
Les myéloblastes, promyélocytes et myélocytes peuvent se diviser. La maturation finale se fait dans la moelle osseuse
Réserves
Les réserves médullaires de neutrophiles sont environ 15 fois plus importantes que celles des neutrophiles sanguins, et cette réserve peut être mobilisée rapidement en cas d'infection grave
Compartiment sanguin
Durée de vie des neutrophiles sanguins : environ 10 heure
Il existe deux compartiments : le compartiment circulant (le seul qui est compté dans le décompte cellulaire) et le marginé (les neutrophiles sont collés aux parois vasculaires par des intégrines)
Compartiment tissulaire
Les neutrophiles quittent le sang par la diapédèse et migrent vers les sites d'invasion bactériennes par chimiotactisme. Si la migration est importante, il peut se former un exsudat purulent (abcès). Quand la phagocytose est accomplie, le neutrophile est détruit
Manifestation cliniques
Les signes et symptômes de la neutropénie sont liés à la diminution de la fonction phagocytaire des neutrophiles et de leur rôle anti-infection.
Il y a trois classes de neutropénie
Neutropénie légère
Neutrophiles entre 1,0 et 2,0
Souvent asymptomatique, découverte par hasard
Neutropénie modérée
Neutrophiles entre 0,5 et 1,0
Fréquence anormalement élevée d'infections bactérienne
- Voies respiratoires : sinusite, bronchite, pneumonie
- Peau : furoncles, cellulite
- Muqueuse digestive : stomatites, gingivites, rectites
La sévérité des manifestations cliniques est liée à la rapidité et à la sévérité de la neutropénie
Souches les plus souvent impliquées : S. aureus, H. influenzae, Pseudomonas, Klebsielle, E. coli
La neutropénie empêche la formation d'exsudats donc certaines manifestations sont absentes (par exemple, pneumonie sans condensation bactérienne et cellulite diffuse plutôt que formation d'abcès)
Neutropénie sévère ou agranulocytose
Neutrophiles sous 0,5
Ulcérations des muqueuses, pharyngite avec dysphagie et adénopathies cervicales douloureuses
Frissons solennels, température en clocher
Éventuellement, peut évoluer vers une septicémie et un choc septique
Mécanismes généraux de neutropénie
- Défaut de prolifération : souvent dans les neutropénie secondaire à la chimiothérapie
- Défaut de maturation : dans l'anémie de Biermer
- Survie raccourcie : avec certains médicaments (aminopyrine, quinidine) et certaines maladies auto-immunes (lupus, PAR)
- Margination excessive : pseudo neutropénie, car le nombre de neutrophiles est encore normal mais le décompte cellulaire est sous la normale
Classification des neutropénie isolée
- Toxique
- Agranulocytose
- Médicamenteuse prévisible ou idisyncrasique
- Post-irradiation
- Agranulocytose
- Infectieuse
- Bactérienne
- Virale
- Fongique
- Auto-immune
- Lupus
- Arthrite rhumatoïde
- Collagénose
- Idiopathique
- Congénitale
- Chronique idiopathique
- Acquise
- Chronique
- Cyclique
- Ethnique bénigne
- Congénitale
Types de neutropénie
Associée aux médicaments
C'est la cause la plus fréquente de neutropénie isolée qui peut être légère ou sévère (fatale dans 15 à 20% des cas).
L'agranulocytose peut être brutale et inattendue (on parle alors d'agranulocytose idiosyncrasique) ou progressive et partiellement prévisible. il y a deux mécanismes sous-djacents: (i) la diminution de la production, (ii) la destruction excessive des neutrophiles.
Médicaments les plus souvent en cause:
- Chimiothérapie: elle cause généralement une diminution de la prolifération cellulaire. La neutropénie est donc fréquente et elle peut même être recherchée en cas de leucémie aiguë. La neutropénie est sévère, mais toujours réversible, sauf si le patient décède d'une infection mortelle.
- Anti-inflammatoire ou anti-pyrétique:
- Dipyrone
- Phenylbutazone
- Quinines
- Les antibiotiques:
- Chloramphénicol
- Pénicilline et céphalosporines (de façon sporadique).
- Dérivés sulfamides: ils peuvent causer une neutropénie progressive.
- Des anti-microbiens (sulfamethoxazole)
- Hypoglycémiants oraux ( tolbutamide)
- Les diurétiques ( thiazides)
- Antithyroïdiens, Psychotropes peuvent aussi induire des neutropénie.
Associée aux infections
Infections bactériennes
Normalement, une infection bactérienne amène une augmentation des neutrophiles circulants, mais l'inverse est possible , ce qu'est connu sous le terme de neutropénie paradoxale. La neutropénie paradoxale peut être observée en cas de :
- Personne âgé: la réserve modulaire est appovrée.
- Dénutrition et carence en vitamines (carence en B12, acide folique): déficit de prolifération et de maturation.
- Sepsis fulminant: les réserves et la production médullaires ne suffisent pas la demande, temporairement.
- Particulièrement, en cas de typhoïde et une brucellose.
Infections virales
Neutropénie transitoire, surtout au début de l'infection
Par ordre décroissant de fréquence : oreillons, influenza, mononucléose à EBV, hépatite, infection à CMV
Peu de conséquences clniques; rarement, apparitition d'une agranulocytose sévère avec ou sans aplasie médullaire globale (surtout avecles hépatites et l'infection à EBV)
Autres
Une neutropénie transitoire est possible avec l'histoplasmose, la malaria et le typhus
Associées aux maladies immunes
Lupus érythémateux
La neutropénie qui peut y être associée est légère et n'a pas de conséquence clinique dans 20% des cas. Il peut y avoir présence d'anticorps anti-neutrophiles
Arthrite rhumatoïde
La neutropénie se retrouve dans seulement 2% des cas mais il y a des conséquences cliniques : augmentation des infections bactériennes (particulièrement à la peau et aux muqueuses), splénomégalie modérée (sans lien avec la sévérité de la neutropénie)
La neutropénie est causée par une prolifération médullaire insuffisante et une mobilisation tissulaire accrue. Souvent, la moelle est hyperplasiée aux dépens des prolifératifs granulocytaire.
Une splénectomie peut être pratiquée si les infections bactériennes graves sont très fréquentes, mais l'efficacité de la procédure est variable.
Syndrome de Felty : neutropénie + splénomégalie + arthrite rhumatoïde
Autres
La présence d'une neutropénie avec leuco agglutinines et hyperplasie granulocytaire suggère l'existence d'une processus auto-immun de destruction de granulocytes circulants. Souvent, il n'y a pas de conséquence clinique, mais il faut tout de même rechercher une maladie lymphoproliférative
Idiopathique
Chronique idiopathique bénigne
Peu fréquente, s'accompagne souvent d'une monocytose compensatrice; les autres leucocytes sont normaux
Dans les formes familiales ou congénitales (diagnostic dans l'enfance), la prévalence est égale entre les hommes et les femmes, mais les femmes sont plus atteintes dans les formes acquises.
Très bénin, les infections sont rares
La moelle osseuse est normale mais la granolupoïèse serait inefficace. La rate est normale. Il est difficile d'éliminer la pseudo-neutropénie par margination excessive.
Peut persister plusieurs années, aucune rémission spontanée n'a été notée chez l'adulte, mais il n'y a pas vraiment de crainte d'une évolution vers la leucémie aiguë ou l'aplasie médullaire.
Si le patient est asymptomatique, pas de traitement nécessaire, mais on recommande des antibiotiques le plus tôt possible en cas d'infection.
La splénectomie n'est pas recommandée.
Cyclique
Beaucoup plus rare que la neutropénie idiopathique bénigne.
Apparition cyclique aux 3-4 semaines de clochers de température et d'aphtes buccaux.
Neutropénie sévère tous les 21 jours, dure 3-4 jours puis remontée progressive.
Pas de traitement spécifique mais les corticoïdes pourraient aider.
Ethnique bénigne
Se retrouve chez la descendance africaine, les arabes jordaniens, les indiens de l'ouest et les juifs sérafades.
La réserve médullaire est normale, il n'y a pas de risque d'infection.
Considérations thérapeutiques
Neutropénie légère
Pas de traitement spécifique, traitement causal.
Si l'étiologie n'est pas évidente, le premier geste à poser est l'arrêt des médicaments
Modérée symptomatique
Traiter chaque infection avec des antibiotiques.
Si on soupçonne une insuffisance médullaire, donner du G-CSF recombinant. Si on pense à un processus auto-immun, donner des corticoïdes à la dose minimum efficace. Dans un syndrome de Felty, penser à la splénectomie
Agranulocytose
Hospitalisation et chambre privée pour isolement
Antibiotiques IV large spectre après les prélèvement si présence de fièvre
Traiter le plus possible la cause de l'agranulocytose.
Déficits immunitaires
Manifestations cliniques
Infections répétées
Souvent, c'est le premier indice de l'existence d'un déficit immunitaire
Principaux sites d'infections
- Peau : folliculites, furoncles, cellulites
- Oro-pharyngée : gingivite, périodontite, pharyngite, amygdalite
- Voies respriatoires : otite, sinusite, bronchite, pneumonie, bronchiectasies
- Tube digestif : colite, entérite, rectite, abcès péri-rectaux
- Génito-urinaire : cystite, pyélonéphrite, prostatite, vaginite
Les principaux agents infectieux sont des bactéries pouvant causer des infections chez les individus normaux
Infections inusitées ou persistantes
Les agents infections sont des agents opportunites
- Pneumonie à Pneumocystis jirovecii
- Candidose buccale persistante ou profonde
- Cryptococcose méningée ou pulmonaire
- Aspergillose pulmonaire
- Sinusite à mucor
- Pneumonie à CMV
- Cystite hémorragique à adénovirus
- Infections granulomateuses chroniques
- Septicémie à Listeria monocytogenes
- Pneumonie à VRS
Classification
La classification des déficits acquis est souvent basée sur le mécanisme
- Hypogammaglobulinémies acquises associées aux syndromes lymphoprolifératifs
- Déficit des lymphocytes T associé à la maladie de Hodgkin
- Neutropénie sévère associée aux syndromes myélodysplasiques, aux aplasies médullaires et aux LAM
- Déficit immunitaire combiné associé à la maladie du greffon contre l’hôte (allogreffe de moelle osseuse)
- Déficit sélectif de lymphocytes T facilitateurs suite à l’administration de médicaments de la classe des analogues des purines (dans le traitement des lymphomes)
- Déficit immunitaire combiné 2nd à l’utilisation de rx immunosuppresseurs (cortico, cyclophosphamide, azathioprine, méthotrexate, cyclosporine, tacrolimus, mycophénolate, sérum anti-lymphocytaire)
- Déficit sélectif des lymphocytes T secondaire au VIH
Diagnostic et investigations
Un soupçon de déficit immunitaire se mérite une investigation approfondie
Clinique
Anamnèse, relevé de vaccination, médicaments reçus, diagnostics préalables, facteurs de risque de VIH, antécédents familiaux de déficience congénitale
Examen physique : chercher fièvre anormale, manifestations cutanéo-muqueuses, adénopathies
Laboratoire
Formule sanguine complète pour éliminer une neutropénie ou une lymphopénie, si on soupçonne une neutropénie cyclique, recommencer chaque semaine pendant au moins 6 semaines.
Faire un phénotype par cytométrie de flux pour avoir une idée des proportions des populations et sous-populations.
Doser les IgA, IgG et IgM pour trouver une hypogammablobulinémie
Cutiréactions d'hypersensibilité pour éliminer un état d'anergie.
Cas particuliers
Déficience congénitale en IgA
Immunodéficience congénitale la plus fréquente (1/600 chez les Européens, beaucoup moins fréquente en Asie et en Afrique)
Absence mesurable d’IgA sérique ou taux mesurable inférieur à 0.07 g/L (N : 0.9 à 4.5), IgG et IgM normaux, lymphocytes T et B normaux, phagocytes normaux, complément normal
Mécanisme inconnu
Plus souvent asymptomatique, diagnostiqué par hasard
Certains patients peuvent avoir des infections fréquentes : otites, pharyngites, sinusites, pneumonie, bronchite, infection ayant tendance à se chroniciser
Fréquence anormalement élevée de maladie auto-immune.
Les patients sont susceptibles de développer des allo-anticorps anti-IgA (le plus souvent, suite à une exposition à du plasma humain), il y a possibilité de réaction allergique grave suite à une transfusion, on recommande donc des culots lavés en cas de transfusion.
S'il y a déficit concomitant en IgG2 (dans 10% des cas), on donne une préparation commerciale d'Ig. Sinon, il n'y a pas de traitement spécifique
Déficience immunitaire commune variable
Relativement commun (1/50 000), variable dans l’importance des manifestations
Diminution de toute les classes d’immunoglobuline avec diminution des lymphocytes B et augmentation des infections
Peut commencer à l’adolescence jusqu'à 40-50 ans
L'étiologie est inconnue et il n'y aurait pas d'incidence familiale
Plus d’infections bactériennes (haemophilus, pneumocoque, S. aureus) qui touchent souvent les voies respiratoires : otites, sinusites, bronchites, pneumonies (peut amener des bronchiectasies)
Manifestations auto-immunes fréquentes : coeliaque, Crohn, anémie pernicieuse (Biermer)
Parfois, hyperplasie lymphoïde diffuse : poly adénopathie. splénomégalie
Diagnostic par dosage d’immunoglobulines et démonstration du manque de lymphocytes B ou de leur inefficacité
Antibiotiques au besoin, immunoglobuline humaines IV chaque 3-4 semaines (400 mg/kg)
Les patients ne peuvent pas recevoir de vaccins vivants et doivent recevoir du sang irradiés s'ils ont besoin de transfusion
Une greffe de cellules souches allogénique peut être un traitement curatif chez certains patients.